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samedi 23 novembre 2024
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Projet Hermitage : l’une des dernières familles des Damiers fait de la résistance

Tatiana Dinulescu et son époux refusent de quitter leur logement du Damier Anjou qu’ils occupent depuis 1995. Le couple fait l’objet d’une procédure d’expulsion.

Son balcon est un écrin de verdure dans un ensemble de béton, et c’est comme en signe de résistance que Tatiana Dinulescu continue de le verdir. Pourtant elle pourrait bientôt être contrainte de quitter toutes ses plantes et son logement de l’immeuble Anjou des Damiers qu’elle occupe depuis 25 ans.

Tatiana Dinulescu mère de trois enfants, et son époux, font aujourd’hui l’objet d’une procédure d’expulsion de la part de RATP Habitat (ex Logis Transports), leur bailleur. La filiale de la RATP, entend récupérer son logement tout comme elle l’a fait pour les autres qui font partie des Damiers Infra, Anjou et Bretagne. Cet ensemble de 250 appartements construit en bordure de Seine, face à Neuilly, dans le milieu des années 70 est en effet voué à disparaitre pour laisser la place au projet pharaonique des tours Hermitage Plaza.

Ce projet immobilier lancé il y a plus de dix ans par le promoteur russe Emin Iskenderov, elle ne veut pas y croire et a décidé de ne pas céder aux propositions de relogement faites par RATP Habitat, toujours propriétaire de l’ensemble. Native de Roumanie, Tatiana Dinulescu dit avoir fui son pays en 1986 pour échapper à la dictature de Ceausescu. Arrivée en France sur une liste humanitaire, elle est accueillie comme réfugiée politique. C’est une petite dizaine d’années plus tard, qu’elle obtient son logement à La Défense.

Tatiana refuse d’abandonner sa vue sur Paris et la Tour Eiffel – DR

« Je suis rentrée le 24 décembre 1995 dans cet immeuble. Quand j’ai signé le bail avec l’UAP, j’avais demandé que si par la suite, ils vendaient, je voulais acheter l’appartement », confie Tatiana Dinulescu. Le couple signe avec l’assureur un bail de droit privé. À l’époque le montant de son loyer est alors de 5 520 francs soit 841,52 euros pour son F4 de 92 mètres carrés avec un balcon de 25 mètres carrés donnant sur la capitale. Dans l’appartement, son mari va reprendre le cabinet du précédent gynécologue. Elle, est médecin anesthésiste.

Une vente d’AXA à Logis Transports découverte en 2006

Mais alors que le couple rêve d’acquérir le bien dans lequel ont vécu leurs trois enfants, ce sera la douche froide en décembre 2006 pour Tatiana qui prend la même année un poste de médecin anesthésiste au centre hospitalier Rives de Seine à Neuilly-sur-Seine. Elle apprend avec stupeur qu’UAP, devenu AXA en 1999 a cédé l’ensemble Infra, Anjou et Bretagne (ainsi que d’autres lots commerciaux) et donc son appartement au bailleur social Logis Transports plusieurs années auparavant. Une transaction avoisinant les 20 millions d’euros faite en toute discrétion en 2001 entre l’assureur et le bailleur social. « En 2006 j’ai signé un nouveau bail. C’est là que j’ai compris qu’AXA avait vendu à Logis Transport l’immeuble », s’offusque Tatiana qui dit avoir pleuré pendant « des jours entiers » L’information de la vente avait toutefois été donnée aux habitants, trois ans plus tôt, en juin 2003. Avant cette date c’est Sagel, qui gérait l’ensemble immobilier pour le compte d’AXA. Et c’est à partir de cet été 2003 que Logis Transports, nouveau propriétaire est devenu également le gérant. « A l’époque je ne faisais pas attention à mes factures », regrette Tatiana.

Le coup de grâce viendra en mars 2008, lorsque le couple découvre le projet de la « Tour Signal » lancée par l’Epad, l’aménageur du quartier (devenu au fil des années Paris La Défense). Un promoteur Russe, jusqu’alors quasiment inconnu en France ambitionne de construire deux tours géantes en forme de « H » signées de l’architecte français Jacques Ferrier. L’avenir des trois immeubles (Infra, Anjou et Bretagne) qui fait partie de l’ensemble des Damiers composés de cinq immeubles (les immeubles Dauphiné et Champagne, qui sont des copropriétés ne sont eux pas concernés) est scellé et le rêve de Tatiana de devenir propriétaire semble voler en éclats.

Si à l’issue du concours, en mai 2008, l’Epad ne retient pas le projet des tours en « H », le jeune promoteur russe, Emin Iskenderov veut maintenir son ambitieux projet. Cependant quelques mois plus tard « à cause d’un désaccord », le promoteur se sépare de l’architecte français et affirme maintenir son projet. En mars 2009, à l’occasion du Mipim à Cannes, il dévoile fièrement la nouvelle version de son projet. Les deux tours géantes, hautes de 320 mètres chacune, sont dessinées par l’architecte anglais Norman Foster.

De là les choses vont alors s’accélérer du côté des Damiers. Avant de vendre ses trois immeubles à Hermitage, Logis Transports doit reloger les 250 familles qui y vivent. Beaucoup de locataires acceptent les propositions de relogement émanant du bailleur social. Une partie d’entre eux trouvera refuge dans l’immeuble de l’Iris, situé non loin de là, en bordure de l’esplanade. Mais comme Tatiana et son mari, un certain nombre de locataires, révoltés par cette opération immobilière refusent de partir et décident de se battre pour conserver leur appartement. Naitront plus de dix ans de procédures judiciaires. Des recours tous azimut seront lancés pour attaquer d’une part les permis de démolir et de construire du projet Hermitage, mais aussi la vente réalisée en 2001 entre AXA et Logis Transports.

« Je veux mon appartement au prix qu’ils l’ont acheté en 2001 »

« Quand on a un projet dans la vie il faut savoir tenir bon. Soit on lutte jusqu’au bout, soit on arrête », martèle Tatiana, toujours décidée à acquérir son logement. Se sentant « flouée », elle en a fait une question de principe. Et alors qu’en mars 2018, Emin Iskenderov avait accusé, au cours d’une conférence de presse certains habitants de vouloir faire de l’extraction en demandant « 200 000 euros pour ‘bouger’ », Tatiana balaye d’un revers de main ces accusations. « Si l’argent m’intéressait j’aurais pu céder. Mais quand on veut démontrer que l’avis des gens n’est pas pris en compte et que les lois ne sont pas respectées, et bien on se bat », s’agace-t-elle. Et elle n’a qu’un seul objectif : « Je veux mon appartement au prix qu’ils l’ont acheté en 2001. C’est tout, Point ! Je ne veux rien de gratuit ».

L’une des anciennes entrées de l’immeuble Bretagne – Defense-92.fr

Une demande que refuse catégoriquement Logis Transports devenu il y a peu de temps RATP Habitat. Le bailleur social entend bien mener à terme son projet de vider les 250 logements des Damiers afin de vendre les bâtiments à Hermitage pour un montant qui serait proche de 50 millions d’euros. Une jolie plus-value que RATP Habitat dit vouloir réaliser pour créer de nouveaux logements sociaux. « Cette vente va permettre le financement de 1 000 logements sociaux dont 500 dans les Hauts-de-Seine et s’inscrit dans un projet global de réaménagement de Paris La Défense », soutient la RATP défendant son programme de relogement : « Depuis la signature de la promesse de vente, RATP Habitat a mené une opération de relogement sans précédent ; les modalités avantageuses de libération amiable des appartements ont permis de convaincre les locataires les plus exigeants et les plus réticents. Un comité de pilotage a été créé sous la responsabilité du préfet et un médiateur a été nommé. Ce processus de relogement a permis à 238 familles d’être relogées dans le parc social à Paris et dans les Hauts de Seine ».

Des propositions qui n’ont donc pas été acceptées par tout le monde. A l’été 2018 neuf familles avaient été expulsées de leur logement du Damier Bretagne, bâtiment depuis entièrement vidé. La procédure s’était alors faite en deux vagues : la première avait concerné quatre familles début août, et la seconde cinq familles en septembre. Six ans plus tôt, une habitante, de l’immeuble Infra avait elle aussi déjà subi une procédure d’expulsion. Du côté de l’Anjou les derniers locataires ont fini par céder aux propositions de RATP Habitat. Cinq familles, toujours présentes dans le bâtiment devraient le quitter normalement à la mi-juin, même si la crise du Coronavirus (Covid-19) laisse prévoir un report des déménagements.

Sauf que pendant ce temps-là, une partie du quartier des Saisons, où sont implantés les immeubles des Damiers tombe en déshérence. Ce secteur devenu glauque, est depuis quelques années régulièrement tagué et dégradé. Pour ne rien arranger les poubelles des derniers habitants ne sont plus ramassées depuis le début du confinement.

Depuis le début du confinement, les ordures des derniers habitants des Damiers ne sont plus ramassées – Defense-92.fr

Ne restent donc plus que Tatiana et son conjoint à avoir refusé toutes les propositions (mise à jour du 20 juin : il reste également un autre locataire). « Madame D. est la dernière locataire des Damiers à refuser tout relogement. Trente-six offres de relogement lui ont pourtant été proposées, qui ont toutes été refusées », argumente la filiale HLM de la régie des transports parisiens. Si beaucoup de ces offres n’étaient pas officielles, le bailleur lui a en revanche fait trois offres en bonne et due forme. La dernière remonte au 26 septembre 2019 pour un appartement de cinq pièces à Nanterre.

Pour justifier son refus, Tatiana affirme souffrir de crises articulaires. « J’ai des problèmes d’articulation et je ne peux pas conduire de voiture et je ne peux pas descendre de marches quand j’ai mes crises. Là où j’habite j’ai un chemin tout droit pour aller à mon travail », poursuit Tatiana. Toujours selon elle l’appartement se situera à 5,9 kilomètres de son travail alors que le bailleur doit lui proposer un logement dans un rayon de cinq kilomètres maximum et dans les communes limitrophes.

« Faire cela pendant le confinement c’est cynique »

« Elle n’a pas donné suite. RATP Habitat a donc dû saisir le tribunal aux fins de solliciter la validation des offres de relogement notifiées », explique le bailleur social. Même si elle s’y attendait, cette étape judiciaire est découverte par Tatiana et son mari le 27 mars dernier, six mois jour pour jour après la dernière proposition de RATP Habitat. En plein confinement le couple a reçu par un huissier son assignation à comparaître pour une audience ce 23 avril devant le tribunal de Courbevoie. « Madame Dinulescu est médecin anesthésiste, ce que sait la partie adverse. Faire ça pendant le confinement c’est cynique. C’est particulièrement indélicat et cela traduit une pression psychologique sur monsieur et madame Dinulescu », dénonce Me Armelle Coulhac-Mazérieux, son avocate qui défend également d’autres anciens habitants du Damier Bretagne.

« La date d’audience était initialement prévue pour le 23 avril car fixée avant la pandémie et les mesures sanitaires en vigueur », se défend RATP Habitat. L’audience qui n’est donc pas « urgente » est donc repoussée à plus tard. « Madame D. ne sera bien entendu pas contrainte de déménager en période de confinement », rassure RATP Habitat.

Si RATP Habitat a désormais enclenché une procédure d’expulsion, l’entreprise dit « continuer de maintenir le dialogue » avec Tatiana et confie avoir « encore écrit il y a un mois, afin de trouver un accord amiable, portant soit sur leur relogement dans un appartement adapté à leurs besoins et la prise en charge de leurs frais de déménagement, soit sur le versement d’une indemnité transactionnelle ».

L’un des halls de l’immeuble Anjou. Dans cette cage il ne reste que quelques habitants – Defense-92.fr

Des propositions que Tatiana a toutes refusées et n’a donc qu’une idée en tête : acquérir son logement qui fait partie pour elle de « ses racines ». Elle affirme d’ailleurs payer assidument son loyer qui est aujourd’hui d’environ 1 376 euros. « J’attends les bulldozers. Si les huissiers viennent je m’accrocherai au radiateur », clame Tatiana. Cependant voyant bien que son immeuble se délabre de jour en jour, faute d’entretien, Tatiana dit bien vouloir déménager de son appartement le temps des travaux de rénovation des Damiers. Pour son logement temporaire, elle vise un appartement, propriété de RATP Habitat, situé à quelques centaines de mètres de là, au 55, quai de Dion Bouton à Puteaux. Une demande restée d’après elle sans réponse du bailleur.

Car comme Tatiana, plusieurs personnes ne croient pas au projet des tours jumelles. Ce dernier ne serait qu’un prétexte pour évacuer les locataires des lieux afin de rénover les appartements et de les revendre à « prix d’or » à des acquéreurs. « On pense depuis le départ que derrière le projet Hermitage se cache un autre projet. Celui de rénover la résidence, en la surélevant d’un côté et de revendre tout ça très cher », estime une ancienne habitante du Damier Bretagne expulsée de son appartement lors de la première vague d’août 2018.

Mais si le projet des tours jumelles Hermitage venait à se concrétiser, Tatiana entend bien être relogée dans l’une des deux tours, pour conserver sa vue à laquelle elle tient tant sur la Tour Eiffel et le Sacré Cœur.

L’ensemble des Damiers est construit en bordure de Seine, face à Neuilly et Paris – Defense-92.fr

Son expulsion qui parait inévitable, Tatiana espère encore y échapper. « J’ai quitté la Roumanie en pensant que ça sera la meilleure solution. Je ne suis pas venu en France pour revivre la même chose », explique-t-elle. Si son éviction venait à se concrétiser elle affirme avoir les moyens de trouver une solution de repli.

Toujours des procédures judiciaires en cours

Si les permis de démolir et de construire pour les tours Hermitage ne font plus l’objet aujourd’hui de recours, la bataille judiciaire n’est pas encore totalement terminée. Sept des anciens locataires du Bretagne ont attaqué RATP Habitat. « Nous avons encore deux séries de recours essentiels », prévient Me Armelle Coulhac-Mazérieux. La première série est un pourvoi en cassation pour « faire constater l’illégalité des expulsions » car « RATP Habitat n’a pas appliqué », selon Me Armelle Coulhac-Mazérieux « la législation de droit commun ». La seconde série de sept recours qui sont censés être plaidés le 20 mai prochain à la Cour d’appel de Versailles, ont pour objet de prononcer la nullité des expulsions et de faire réintégrer les locataires dans les lieux. « Nous considérons qu’ils ont été expulsés illégalement et que ça constitue des voies de faits », rajoute Me Armelle Coulhac-Mazérieux.

De son côté Emin Iskenderov, garde son éternel optimisme pour ériger ses deux tours qui mêleront peut-être un jour en plus des logements de luxe, des bureaux, un hôtel cinq étoiles, des commerces mais aussi dans les bâtiments adjacents des logements étudiants. L’homme d’affaires qui a lancé à ses frais il y a quelques mois les travaux de désamiantage et curage des Damiers Bretagne et Infra doit l’acquérir auprès de RATP Habitat une fois que l’ensemble sera entièrement vidé des occupants. « Nous avons un compromis de vente ferme, prévoyant que dès la fin des travaux de désamiantage nous deviendrons propriétaire », affirme-t-il en espérant toujours livrer la première partie de son projet en marge des Jeux Olympiques de 2024 à Paris.

Mais d’ici là, le magnat de l’immobilier devra régler son conflit avec Paris La Défense débuté il y a déjà deux ans. Des discussions seraient toutefois relancées entre l’aménageur et le promoteur. Et pour financer son opération chiffrée à environ trois milliards d’euros le groupe a obtenu un prêt relais de 237 millions d’euros avec le groupe coréen Meritz. Pour trouver les milliards restants, le promoteur a sollicité la banque française Natixis.

RATP Habitat doit céder les trois immeubles une fois qu’ils seront vidés, curés et désamiantés, au promoteur Hermitage – Defense-92.fr
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