« Un ouvrage d’art au parfum d’extrême droite » : voilà ce que titre le Canard Enchainé dans son dernier numéro paru ce mercredi 18 décembre. L’hebdomadaire satirique s’est penché sur la nouvelle passerelle de Puteaux inaugurée en septembre dernier. Et ce n’est pas le financement qui est pointé du doigt par le journal, mais le nom donné à l’ouvrage. Baptisé par la mairie de Puteaux « François Coty », cet hommage à l’industriel français du parfum qui avait ses usines sur l’île de Puteaux fait polémique.
Comme l’explique Le Canard, François Coty a un passé sombre. Et pour cause. « Richissime, cet industriel mégalo adorait Mussolini et consacra une bonne partie de sa fortune à son dada : le financement de mouvements fascistes », explique le journal satirique qui rappelle qu’il fonda après avoir racheté Le Figaro une ligue de « fachos » nommée « Solidarité française » qui participa aux émeutes du 6 février 1934.
Quelques mois plus tard, en mai, François Coty s’exprimait dans une tribune de son journal. Il dénonce alors « le bolcheviste » et « l’israélite ». Pour l’industriel « les communistes sont en majeure partie des Juifs ; la suppression du communisme implique nécessairement une action qui atteint un certain nombre de Juifs ». Si François Coty rejeta l’antisémitisme peu de temps avant sa mort en 1934, comme l’écrit Le Canard « pareil esprit méritait assurément d’être remis à l’honneur » en référence à l’arrivée d’un certain Adolf Hitler.
La maire de #Puteaux inaugure une #passerelle piétonne sur la Seine…
Quel nom choisit-elle de lui donner ?
Un industriel des années 30 qui a financé #Mussolini et qui admirait le #nazisme 🤮https://t.co/QT748CXTW6#hautsdeseine pic.twitter.com/jvUc2n1MFI— Christophe Grébert (@grebert) December 18, 2019
Un nom dénoncé par Christophe Grebert
La mise en avant de ce sulfureux personnage d’extrême-droite avait été pointée du doigt par Christophe Grebert, l’opposant de la majorité municipale. « Il y a une certaine symbolique derrière un pont, c’est le contraire d’un mur, d’un obstacle, explique l’élu. On aurait pu trouver une personnalité qui symbolise l’humanisme, la paix, le lien… Là, il y a une erreur de casting. Certes, personne n’est jamais ni tout noir, ni tout blanc, mais c’est une faute politique de nommer un équipement public en référence à quelqu’un qui s’est si lourdement trompé vis-à-vis de l’Histoire, en soutenant le fascisme et l’antisémitisme ».
Mais alors que la municipalité de Puteaux a mis en avant la présence de l’industriel sur son île, Christophe Grebert estime pour sa part que son nom « n’appartient même pas véritablement à l’Histoire de Puteaux » et qu’il « aurait dû rester oublié ».
« Il est mort en 1934 d’une façon assez minable, et après son décès tout a disparu, c’est resté un épiphénomène », explique à France Bleu, l’historien Laurent Joly qui rappelle que le milliardaire a tout perdu après le krach de 1929.
Si le nom fait polémique la passerelle qui semble trouver grâce auprès des habitants de Puteaux a en revanche été dernièrement récompensée par un prix de l’Interdépartementale de l’Innovation Urbaine 2019.
Fière de recevoir le prix de interdépartementale de l’innovation urbaine pour notre passerelle François COTY! @hautsdeseinefr @Les_Yvelines #Puteaux pic.twitter.com/BMCUEtaiii
— J.Ceccaldi-Raynaud (@Joelle_CR) December 11, 2019
Droit de réponse de Véronique Coty, présidente de l’Association François Coty le 20 décembre 2019 :
Suite à un article de France 3 IDF du 18 décembre 2019 rédigé par Pierre de Baudouin et un autre du Canard Enchainé que vous relayez largement, présentant François Coty comme « un admirateur du nazisme et du fascisme ». Je me dois de partager à ce sujet quelques éléments de réflexion. Cet article s’inscrit dans un règlement de compte politique et ce, à 3 mois d’échéances électorales.
Le choix du nom de la passerelle a été voté par le conseil municipal le 21 Février 2019 suite à l’adoption du procès-verbal du 13 Décembre 2018. Aucune voix sinon certaines abstentions ne se sont positionnées contre cette proposition. Cet article, à 3 mois des échéances électorales semblerait s’inscrire dans un règlement de compte politique.
Du point de vue historique, cette période de l’entre-deux guerres possède un spectre politique très différent du nôtre. En faire l’objet d’interprétations hors de leur contexte est une façon de manipuler l’Histoire pour servir des intérêts personnels ne constitue pas une argumentation honnête aux yeux du public. En revanche, c’est l’occasion pour nous de développer le sujet en réponse.
Avec son usine de conditionnement métallique installée à Puteaux, François Coty a joué un rôle économique et social important pour la ville. Les nombreux employés puteauliens ont pu bénéficier des avantages tels que : une crèche dans l’usine, les congés payés, le financement des études et la retraite bien avant 1936…
Il finance avec son ami François Carnot Le Jouet de France qui ouvre ses portes en Janvier 1917. Cette usine est conçue pour les soldats handicapés parfois mutilés revenus du front. Ils fabriquent des jouets en bois pour les enfants, accompagné d’un menuisier formateur, afin de leur donner une perspective d’avenir professionnelle leur apportant ainsi une raison de vivre et de l’espoir.
Il est pour le moins désolant de lire que mon aïeul ait pu être nazi. Soulignons qu’il était, avant toute autre chose nationaliste, anti-communiste et résolument germanophobe, comme la plupart des industriels de l’époque. La Solidarité Française est créée le lendemain de la nomination d’Hitler en tant que Chancelier fin janvier 1933 et cette organisation comptait plusieurs sociétaires de confession juives, unis par la peur qu’engendrait l’Allemagne nazie. A la mort de François Coty en Juillet 34, il est vrai qu’elle prend un tout autre visage sous l’égide du fascisant Jean Renaud.
Le succès fulgurant de self made man dans une société figée et réactionnaire en feront le bouc émissaire « fasciste » idéal pour des milieux dirigeants qui n’ont jamais voulu l’accepter.
Au tout début des années 20, Il se sent proche de Mussolini et de ses idées, séduit par l’ordre qu’il rétablit en Italie et qu’il verrait bien mettre fin au chaos qui règne en France à ce moment-là. Mais il s’en détourne avec la montée des « lois fascistissimes » de 1925 et 1926, supprimant son aide financière et coupant définitivement les ponts avec l’Italie fasciste. François Coty était un génie de la parfumerie et un homme d’affaire hors pair mais un piètre homme politique.. Avant de découvrir son exceptionnel talent de parfumeur, il avait fait des études de journalisme. Il était influençable de par son histoire personnelle et son anticommunisme viscéral l’a amené à croiser des personnalités de mauvaise augure attirées par son argent et son pouvoir lié à ses journaux. Ces détracteurs vont utiliser ces vecteurs pour propager leurs idées nauséabondes. Et comme cité dans l’article « il est resté sans envergure dans le milieu nationaliste… ».
Il a eu des mots orientés dans son journal l’Ami du Peuple mais il s’en est excusé et demande qu’un communiqué public soit lu lors du congrès juif mondial du 8 septembre 1933 à Genève. Il rompt d’ailleurs à ce moment-là avec ces sulfureux personnages qui ne manqueront pas de le railler publiquement. Dès la création de son entreprise et jusqu’à sa mort, François Coty s’était entouré de nombreux collaborateurs de confession juive, impliqués et reconnus au sein de leur communauté religieuse.
Benjamin Lévy fut à la direction de COTY Inc. à New York des 1910, fleuron de son
empire industriel qu’il dirigera brillamment jusqu’après la seconde guerre mondiale. Tout comme Raymond Greilsamer qu’il fera revenir d’Allemagne en 1932 où la condition des juifs est menacée pour finalement l’envoyer en tant que directeur des ventes à NY.
A l’annonce de la mort de mon aïeul le 25 juillet 1934, Monsieur Greisalmer prend un avion pour Paris afin d’assister aux obsèques et lui rendre hommage. Il fait partie des 4 personnes qui portent son cercueil.
Mon grand-père Henri Roland Coty, petit-fils de François Coty, fonda l’association François Coty en septembre 2000. Elle avait entre autre pour but de rétablir la vérité sur le parcours hors norme de François Coty sans déni ni caricature. Mon grand-père fut résistant puis arrêté par les nazis et enfin déporté et torturé à Buchenwald puis à Dora-Bergen-Belsen. Il adorait son grand-père qu’il s’est appliqué à défendre contre les écrits abusifs ou manipulés sans jamais céder à la tentation d’omettre certains de ces mauvais choix politiques.
Si vous souhaitez en savoir plus, l’ouvrage complet, référencé, fruit de 4 ans de travail, une thèse rédigée par Ghislaine Picchiottino agrégée d’histoire et géographie à La Sorbonne, vous apportera d’autres informations.
« François Coty un industriel corse sous la IIIeme République », Ed. Albiana
Rédigée par Véronique Coty, présidente de l’Association François Coty le 20 décembre 2019.