C’était il y a tout juste soixante ans. Cinq ans après la naissance d’Europe 1 (alors appelé Europe N° 1 à l’époque), son co-créateur, Louis Merlin décide de bouleverser la grille de sa station pour la fête de la nativité en organisant en cette nuit du 24 décembre, chose inimaginable aujourd’hui une énorme messe à La Défense.
La journée de « l’opération Noël d’Europe N°1 » débute à 14 heures avec l’émission « Noël des quatre vents » qui interviendra quelques minutes à chaque heure jusqu’au soir du 25 décembre. Jean Gagnard qui en est le réalisateur organise dans toute la France un concours de contes de Noël inédits auquel sont conviés des enfants de 6 à 14 ans. Plus de 10 000 récits sont ainsi rassemblés à l’aide de grands quotidiens régionaux. Les trois meilleurs contes reçus dans chaque région sont alors enregistrés avec la voix de leur jeune auteur. Le meilleur des trois est ensuite retenu. A 20h20, les auditeurs peuvent écouter « la Pastorale de l’enfant perdu », émission réalisée sur un scénario de Pierre Tchernia et des dialogues de Claude Santelli. Le thème est l’aventure d’un enfant de six ans qui s’en va du côté de Bethléem à la recherche de quelques brins de véritable paille pour orner sa crèche. Cette « Pastorale » s’accompagne d’un long moment musical réalisé par Roland Douatte, avec le concours vocal du chœur de l’église Saint-Julien-le-Pauvre, du quatuor de l’église catholique russe de Paris et des Petits Chanteurs de Vincennes. A 21h30 est lancée l’émission « Noël » en occupant l’antenne à intervalles plus ou moins réguliers jusqu’au lendemain.
Mais c’est à minuit que Louis Merlin frappe un grand coup en organisant une messe géante dans le tout nouveau Cnit inauguré deux ans plus tôt, forcément retransmise en direct sur les ondes d’Euope N°1. L’objet de cette cérémonie est double. Si la messe est gratuite, l’idée du co-fondateur de la station de radio est de récolter à travers une quête des fonds pour rénover la vieille église de Fourqueux (78) qui tombe en ruine mais aussi d’en bâtir une à Epinay-sur-Seine (93).
Le cardinal Feltin et la hiérarchie catholique donnent toutes les autorisations pour cette cérémonie XXL. Le public découvre un bâtiment sobrement décoré. L’autel niché à une trentaine de mètres de haut qui est dressé face à l’une des trois grandes façades vitrées du Cnit est entouré de rideaux beiges. Deux sapins sont installés, dont le plus grand est embelli d’une grande croix. En bas sur deux stands, deux écriteaux, certes un peu misogynes, mais c’est encore d’époque, sont affichés avec les messages : « confession hommes » et « confessions femmes ».
Avant que la messe ne débute Louis Merlin, prend la parole et rappelle que cette messe est donnée au profit des deux églises et demande à la foule que les artistes ne soient pas applaudis. Le prêtre parle lentement pour éviter le redoutable écho du lieu décrit par beaucoup comme une « cathédrale des temps modernes ».
De grandes stars sont invitées à cette soirée. C’est ainsi que le « Minuit chrétiens » est chanté par Tino Rossi, Lucienne et Jacqueline Boyer interprètent en duo « Noël blanc », la chorale « A Cœur Joie » chante « Les anges dans nos campagnes », la voix de François Perier lit l’Évangile du jour, Geori Boué interprète « Ad este fidèles », les Djinns en congés de la RTF chantent eux « Nuit des nuits ». A l’élévation, les guitaristes classiques Ida Presti et Alexandre Lagoya jouent une cantate de Bach puis Tony Poncet de l’Opéra chante l’Ave Maria de Gounod. Les Djinns reviennent ensuite avec le classique « Il est né le divin enfant ». Et c’est Charles Trenet qui présente « La plus belle nuit », un Noël qu’il a spécialement écrit pour la circonstance.
Pour couvrir l’événement, le Figaro fait appel à l’un de ses jeunes journalistes, un certain Philippe Bouvard. « Faute de posséder le don d’ubiquité, un minutage précis s’imposait pour moi qui m’était donné pour mission de me trouver dans un peu partout dans Paris en cette nuit de Noël », écrit Philippe Bouvard. Après avoir passé quelques minutes aux côtés de clochards sous le pont de la Tournelle, l’ancien animateur des Grosses Têtes sur RTL se dirige vers le rond-point de La Défense et relate l’innombrable présence de voitures garées un peu partout. A cette époque à La Défense le quartier d’affaires n’existe pas encore. Il n’y a point de RER, métro et tramway. Pour permettre aux fidèles qui ne sont pas véhiculés de venir d’innombrables bus sont mis en appui depuis le pont de Neuilly où la ligne 1 du métro qui s’y termine a sa fréquence renforcée. La halte SNCF de La Défense est-elle exceptionnellement réouverte pour quelques heures. Sous la grande voûte du Cnit, la foule a répondu présent. « Il y a plusieurs dizaines de milliers de fidèles. Quatre-vingt mille ? Cent mille ? on ne sait plus », raconte Philippe Bouvard.
Durant la célébration le prêtre président annonce à ses fidèles que le cardinal Tardini, secrétaire d’État du Vatican, fait part de la bénédiction du Pape Jean XXIII. « C’est à présent la minute émouvante de la communion des fidèles dans un silence recueilli », poursuit Philippe Bouvard. Il y a tellement de monde que les dizaines de prêtres sont obligés de couper les hosties en plusieurs morceaux.
De son côté L’Union relate l’événement. Pour le quotidien aujourd’hui disparu, « la plus grande église de Paris n’était pas à Notre-Dame » où le cardinal Feltin avait lui-même officié, mais à La Défense.